Le documentaire des cinéastes Brittney Gavin et Amy Mielke, Apex: The Black Masters (Apex : Le Tournoi des Maîtres noirs), présente des interviews avec 44 personnes. Mais Brittney Gavin soutient que le personnage principal du film n’a pas de rôle parlant.
C’est la communauté elle-même.
Le Tournoi de golf sur invitation Apex était le premier tournoi de golf noir de Nouvelle-Écosse et a commencé bien modestement à Truro. Alors qu’au début, il n’y avait que 10 participants, l’évènement a considérablement grandi depuis et célébré son 50e anniversaire l’été dernier.
Brittney Gavin, Amy Mielke et leur équipe armée de caméras étaient présentes.
« Je suis heureuse qu’on ait réussi à faire de la communauté le personnage principal, dit Brittney Gavin. Il y a tellement de personnes qui ont chacune ajouté leur petite part, et c’est pour ça que [le tournoi] a pu exister pendant 50 ans. »
À Truro, il existe trois communautés noires géographiquement distinctes, mais socialement imbriquées – l’Island (l’Île), la Hill (la Colline) et le Marsh (le Marais). Le documentaire se concentre sur l’Island, car le terrain de golf est dans la cour des gens qui y vivent. Le district tient son nom d’Île (à ne pas confondre avec l’Île-du-Prince-Édouard, comme on le précise plusieurs fois dans le film) parce qu’il était souvent isolé par des inondations lors de fortes pluies.
« Le golf fait partie intégrante de la vie de leur communauté et on montre ça dans le film, poursuit la cinéaste. Le documentaire traite de la relation qui a passablement évolué au fil du temps entre le terrain de golf et la communauté. »
Brittney Gavin est elle-même personnellement liée à l’évènement de deux jours, elle le connaît depuis toujours. Son anniversaire est le 9 août et elle raconte que sa mère, quand elle était enceinte de neuf mois, avait assisté au tournoi le week-end avant sa naissance – et l’évènement a toujours lieu pendant la première fin de semaine d’août. En outre, lorsque Brittney Gavin a tourné le documentaire, elle était elle-même enceinte de huit mois, a-t-elle déclaré en entrevue à CBC, c’était pour elle comme boucler la boucle.
Brittney Gavin, une cinéaste établie à Halifax, ne joue pas au golf. Et si la trame de fond de son documentaire tourne autour du tournoi de golf – on y donne même les résultats de la 50e édition de l’évènement – l’accent est mis avant tout sur les gens qui y participent.
En riant, Brittney Gavin dit qu’elle était « sûre » d’avoir des tas de conversations avec des mordus finis de golf. Mais un de ses premiers interlocuteurs, Jude Clyke (membre d’un des comités du tournoi), lui a avoué – et il le répète à la caméra – qu’il se fiche complètement du golf.
« C’est ce qui a donné le ton au film, raconte la cinéaste en souriant. Il y a des gens qui vont au tournoi et qui n’ont jamais joué au golf, qui n’ont rien à faire du golf. Pour eux, et pour la plupart des gens qui y vont année après année, il s’agit en réalité d’un retour au bercail de la communauté. »
En cinq décennies, le tournoi a beaucoup évolué, évidemment, et les festivités du week-end comprennent un volet axé sur les bourses d’études. Les membres de la communauté ont récolté 113 000 $ pour aider les étudiants de la région à poursuivre leurs études postsecondaires. Plus de 140 bourses d’études ont été distribuées à ce jour.
« Le simple fait de savoir que la communauté vous soutient dans vos entreprises futures est tellement important, explique Brittney Gavin. Le comité est très fier de son fonds de bourses d’études. C’est maintenant devenu une priorité du tournoi et ça fait de l’évènement quelque chose qui va bien au-delà du golf. »
Le film entremêle les histoires du passé et les perspectives d’avenir, mais le passage le plus émouvant est sans doute le rappel du moment où le club – fondé en 1905 – a organisé une cérémonie de réconciliation avec la communauté noire et fait de Darrell Maxwell, le fondateur du tournoi aujourd’hui âgé de 74 ans, le 16e membre honoraire de son histoire.
À l’origine, les membres de la communauté noire étaient bannis du terrain de golf, ce qui aurait dû les empêcher d’y aller, mais Darrell Maxwell – comme bien d’autres jeunes du coin – se faufilait sur le terrain avant l’aube pour y jouer autant de trous qu’il pouvait avant l’ouverture au public à 5 heures. « Encore aujourd’hui, raconte la cinéaste, certains golfeurs de cette génération frappent leurs coups de départ en droitiers, mais jouent les roulés en gauchers parce qu’ils n’avaient accès qu’à un fer droit de gaucher pour apprendre. »
« Je ne peux même pas imaginer à quel point cela a dû se faire attendre dans la communauté, poursuit Brittney Gavin. De mon point de vue de cinéaste, nous n’étions pas sûrs que les responsables du club de golf souhaiteraient raconter cette histoire comme elle s’est déroulée. C’était évidemment peu flatteur pour les membres. Le président a dû assumer la responsabilité de politiques auxquelles il n’avait manifestement pas participé. J’étais simplement heureuse que les gens du terrain de golf acceptent de raconter la même histoire que nous, et qu’ils veuillent raconter les choses comme elles s’étaient passées. La communauté noire est souvent habituée à ce que ces sujets soient contournés. Le fait que quelqu’un l’affirme a été incroyablement positif. »
« Bien des gens de l’Island sont d’avis que c’était dû depuis longtemps. »
Le documentaire, diffusé en continu sur CBC Gem, est à la fois un projet né d’une passion et un important morceau d’histoire pour Brittney Gavin. Et elle est ravie que le personnage principal, la communauté, s’y trouve à l’avant-scène comme elle le mérite.
« On a réalisé ces 44 entrevues, quelque chose que je n’avais jamais vu dans le monde du cinéma documentaire, et tous ces gens étaient capables de parler si naturellement devant la caméra, conclut Brittney Gavin. Mais quand on a quelque chose à cœur, quand on est passionné par cette chose, ça devient facile. »